Ufan Lee
Lee Ufan
3 juin - 23 juil. 2016
Mennour, 6 rue du Pont de Lodi

« Le point, c’est exister. Le trait, c’est vivre » 1 

Après son étonnant et vaste dialogue sculptural avec le château de Versailles et les jardins d’André Le Nôtre, en 2014, Lee Ufan expose, à Paris, ses peintures les plus récentes ainsi que douze aquarelles de 1983. La galerie kamel mennour est honorée de les présenter dans son nouvel espace de la rue Matignon et d’accrocher aux cimaises du site de la rue du Pont de Lodi des tableaux aux couleurs et vibratos inédits, signes d’une période nouvelle dans l’œuvre du peintre.

Lee Ufan est multiple. Peintre et sculpteur mondialement connu et reconnu, il est aussi écrivain, philosophe et critique d’art. Il est coréen et japonais, une double richesse culturelle étoffée par des relations privilégiées avec la France, l’Allemagne, le Danemark et bien d’autres régions du monde. Cette vie kaléidoscopique est lestée par un silence essentiel où le dessin et l’aquarelle prennent une part primordiale. « Mes pensées et mes actes ne cessent de voltiger à tout moment. Le dessin, c’est le premier contact entre le papier et moi et le développement de nos relations. On dit bien que le dessin est libre de projet, et de structure, et arbitraire, il est vraiment ce qui convient le mieux à l’activité du peintre », écrit-il dans son livre L’Art de la résonance .2

 

Qu’elle soit dessinée, peinte ou sculptée, chaque œuvre de Lee Ufan est un départ. Un point existentiel comme un événement à partir duquel se déploie l’exploration d’un monde infini — inconnu et pourtant vital. Cette aventure se fait en dialogue avec l’œuvre. Il s’agit d’atteindre le processus créatif qui ouvre l’art à sa vie propre. Il permettra au regardeur d’entrer dans une danse où se joue la partition du sentir. L’issue en est vitale : devenir plus libre, plus vaste, plus accordé à l’infini. Donc à l’univers. « Ce n’est pas l’univers qui est infini, c’est l’infini qui est l’univers », énonce Lee Ufan. La nuance est de la taille de l’illimité où chacun peut inventer de nouvelles dimensions de soi. 3. 

Cela est d’abord vrai pour Lee Ufan lui-même. Il le souligne en marquant une différence entre peinture et sculpture. Cette dernière est, pour lui, en relation avec l’environnement où elle apparaît. C’est pourquoi les sculptures prennent toujours le titre-préfixe de Relatum auquel s’adjoint un titre-suffixe variable. En revanche, la création picturale, elle, est une pratique solitaire : « Je dois, pour ma peinture, me défier tout seul. L’événement qui se passe entre la toile et moi est proche d’un rite secret, complètement fermé à l’extérieur.4 » Dans ce hors temps méditatif, Lee Ufan cherche à être relié à l’inconnu, à percevoir « le monde indéterminé qui précède le langage »5. Ce lien présidera à l’élaboration entière d’une peinture ou d’un dessin. C’est la clé. Lee Ufan cherche à rejoindre cette dimension. Avant de peindre, il ajuste la respiration et le rythme du corps pour que l’énergie, s’animant d’une pulsion vitale, trouve son passage vers l’infini. Un déclic se produit. Il ouvre le lieu où peindre. Le tableau est alors comme un être vivant qui inaugure une résonance de l’espace. C’est là que le regardeur est invité à s’aventurer : vers l’inconnu. Car la pensée et la réalité ne sont pas en conformité l’une avec l’autre. La réalité est finie, la peinture infinie…

Lee Ufan a été l’initiateur et le théoricien du Mono-ha (l’École de la chose). Ce courant a regroupé de 1967 à 1970, au Japon, des artistes montrant l’art comme processus entre deux choses ou entre une chose et l’espace. Les artistes du Mono-ha, que l’on a parfois rapproché des minimalistes et des plasticiens de l’arte povera, étaient désireux d’arpenter les rapports avec l’extérieur, en établissant des relations spatiales. Cette relation entre intérieur, extérieur et espace marquent aujourd’hui encore l’œuvre de Lee Ufan.
À Naoshima, sur la petite île japonaise de la mer intérieure de Seto, le plasticien a créé, avec la complicité de son ami architecte Tadao Ando, un lieu de recueillement. Dédié au silence et à la méditation, il vibre de la rencontre entre vie et mort. Serait-ce une autre manière de désigner l’intérieur et l’extérieur ? En tout cas, pour Lee Ufan, une œuvre réussie parvient à tenir en elle la vie et la mort, parvient à dépasser le dilemme fondamental de la condition humaine. Le dessin et la peinture sont de ce fait les outils privilégiés de la métaphysique. 

 

— Annabelle Gugnon

 

1.     Lee Ufan, L’Art de la résonance, Beaux-Arts de Paris éditions, Paris, 2013. 
2.     Ibid., op. cit.  
3.     Ibid., op. cit.  
4.     Ibid., op. cit.  
5.     Lee Ufan, Un art de la rencontre, éditions Actes Sud, Paris, 2002.